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  • : Prune Victor
  • : P.S. PRUNE est le blog de Prune Victor. Insolent, licencieux, torturé, amoureux, tendre, colérique, décapant, corrosif et en ligne(s)
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Et les textes chez Vents Contraires, la revue collaborative du Théatre du Rond Point

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ANGOISSE ...

Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse, 
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul, 
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

Mallarmé


Notre devoir n'est pas de nous débarrasser du fou, mais de débarrasser le fou de sa folie. 

Si nous commencions ? 

Albert LONDRES

Chez les fous

(ed. Arléa)

9 septembre 2011 5 09 /09 /septembre /2011 08:43

Mais il n’était ni lâche ni trop orgueilleux pour dire non au devoir. Et le devoir un matin avait sonné. Le devoir l’avait réveillé, habillé tout de noir, en costume bien coupé, un chapeau sur la tête et un pli à donner. Un pli, étrange courrier, jamais personne ne lui en avait adressé. Il recevait des lettres parfois, des rappels de facture à payer. Des nouvelles de sa famille, aujourd’hui installée à la capitale, l’immense capitale où il refusait d’aller. La terrible capitale, où il craignait de se perdre, de ne jamais pouvoir revenir, de ne pas pouvoir retourner dans ce trou qu’il avait appris à aimer. L’effrayante capitale, où tout va si vite et est déjà oublié avant que d’être fait, où les rencontres n’arrivent pas, car à l’au revoir donné, il s’y associe l’oubli, celui qui tue toute générosité.

Lui, il regardait le temps s’écouler lentement, pouvant presque compter les grains de sable qui glissent dans le sablier. Il s’y endormait, et l’endormissement lui convenait.

 

Mais il ne convient pas au devoir, à ce qui soudain lui incombait. Il ne convient pas de rester à attendre, de rester à observer le temps qui s’échappe, sans vouloir le retenir, sans craindre de ne pouvoir le rattraper.

Le devoir dévore le temps, infatigable, assassin de quiétude, meurtrier aveugle et insouciant. Le devoir s’impose, le devoir devient omniprésent, persistant, lançant ses appels et s’obstinant, tant qu’il n’est pas satisfait, tant qu’il semble ignoré, méprisé, mis de côté. Le devoir devient obsédant, s’incrustant, s’invitant à la table de celui qui le reçoit. Il exige un couvert parfait, il exige d’être servi. Et lorsque le devoir s’endort, c’est repu et gonflé des efforts que ceux qui l’auront assouvi y auront mis.

Sauf à être lâche ou trop orgueilleux.

 

Mais il n’était ni lâche, ni trop orgueilleux.

Il prit le pli, précieusement. L’homme était resté sur le pas de la porte, il ne pensa pas à le faire entrer. L’homme dont la silhouette se découpait dans l’aube qui finit de naître, silhouette autour de laquelle on aurait presque pu deviner des pointillés, comme ces poupées de carton qu’il faut ensuite habiller. L’homme qui avait retiré son chapeau, et sans un mot, attendait.

Lui, il savait qu’il fallait donner une réponse, que l’homme restera là tant qu’il n’aurait pas réagi.

Il ouvrit le pli comme on ouvre la Bible. Il ne s’agit pas de croire, il s’agit de respect. Il ne croyait en rien, sauf en demain qui se doit d’exister. Mais il ne manquait pas de respect, il ne manquait pas de craindre aussi qu’en en manquant la vie pouvait s’envoler. Il l’ouvrit comme on ouvre la Bible, lisant des mots qui se mirent à danser, sans tout de suite en comprendre le sens, sans savoir ce qu’on venait lui demander. Si ce n’est cette réponse, cette réponse qu’il allait formuler.

Il lut, et relut. Et relut encore. Les mots sautaient devant ses yeux, le pli n’était peut-être pas pour lui, mais c’était bien son nom qui était sur l’enveloppe cachetée.

Il relut encore, croyant à un jeu, une erreur, une plaisanterie qu’on lui destinait. L’homme en noir ne bougeait pas, et rien chez lui ne souriait, ni sa bouche aux traits durcis, aux lèvres fermées sur l’obligation de se taire, ni ses yeux si fermés qu’on aurait dit deux traits, deux traits pointus, deux traits aigus, deux traits qui barrent la vie ou la coupent en deux. C’était son métier, annoncer le moment où la vie est partie, il était là pour ça, c’est ce qu’il transmettait. 

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