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  • : Prune Victor
  • : P.S. PRUNE est le blog de Prune Victor. Insolent, licencieux, torturé, amoureux, tendre, colérique, décapant, corrosif et en ligne(s)
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VENTS CONTRAIRES.NET

 

Et les textes chez Vents Contraires, la revue collaborative du Théatre du Rond Point

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ANGOISSE ...

Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse, 
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul, 
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

Mallarmé


Notre devoir n'est pas de nous débarrasser du fou, mais de débarrasser le fou de sa folie. 

Si nous commencions ? 

Albert LONDRES

Chez les fous

(ed. Arléa)

17 mai 2011 2 17 /05 /mai /2011 08:43

La danse des blattes sur le plan de travail de la cuisine le fascinait.

Elles étaient arrivées telle une colonie. Et s’installaient sans aucune gêne, inconscientes qu’un sort funeste pourrait leur être réservé. Pourrait, si elles avaient été ailleurs. Mais en arrivant, envahisseurs malgré eux, sur ce plan de travail pourtant confié aux sons d’une parfaite femme de ménage, elles avaient du même coup sauvé ce qui aurait pu être une courte existence.

 

Il les observait, assis sur sa chaise. Il l’avait amenée jusque là, se mettant ainsi à leur hauteur, et les regardait tourner à gauche ou à droite, dandinant leur corps ridicule, si ridicule qu’il en devenait touchant. Leurs petites pattes, avec ce fin duvet qui les recouvrait, semblait faites de velours, collants de danseurs pour un ballet improvisé. Il ne pouvait voir leurs yeux, mais il s’était convaincu qu’elles s’observaient l’une l’autre,  en danseurs de tango un rien burlesque.

Et leurs frêles antennes les rapprochaient, leur permettant cet équilibre que les futures étoiles acquièrent à la barre, devant la glace, des heures de travail durant.

 

Parfois, le rythme s’accélérait. Ce n’était plus un tango, c’était autre chose encore. Comme une danse folklorique, une ronde sur un air slave mêlant avec talent puissance et calme, passion et discrétion.

L’une d’elles, plus grosse que les autres, devait mener le ballet. Les autres l’entouraient, dans une chorégraphie spontanée, créée pour leur unique spectateur.

Parfois, elle s’arrêtait net, et ses partenaires en faisaient alors tout autant. Elle penchait sa tête, le mouvement suivi de ses antennes, dans un salut retenu. Puis elle reprenait sa danse, entraînant à nouveau derrière lui les corps de ses compagnons.

A un instant, cet arrêt fut si net qu’on entendit presque le corps de ballet se stopper.

 

Il admirait cette légèreté et cette évidence de chaque mouvement. Applaudissant presque lorsque la ronde était parfaite, retenant son souffle dans ce qu’il croyait être une arabesque, ou un entrechat.

 

Se tournant vers sa vieille radio, il leur mit de la musique. Il fallait accompagner ces danses. Il chercha ce qui pouvait le mieux convenir. Et fixa son choix sur une valse de Strauss.

 

Ce fut sans doute de leur goût. Une nouvelle danse, un nouveau mouvement s’ordonna. Les insectes se tournèrent vers lui, il en était convaincu. Et baissèrent la tête dans un mouvement tellement synchronisé qu’il en eut les larmes aux yeux.

Il fit rouler sa chaise un peu plus près encore. Et se penchant pour les voir de plus près, crut se reconnaître en l’un d’eux. Se reconnaître, jusqu’à ce jour où, alors qu’il répétait un saut des plus complexes, il était tombé, se brisant la cheville.  Et la colonne.

Depuis ce jour où il avait été condamné à rester assis, et à rouler, sans jamais plus danser.

 

Il tendit la main vers eux, ému, transporté, les adorant soudain comme on adore une Etoile, les enviant, repensant à ses heures de gloire, seul sur la scène, éclairé, admiré…

 

Le plus gros, le maître de ballet, avança une patte. Puis une autre.

Il se rapprocha de la main qui lui faisait signe.

 

L’Etoile brisée l’appela, doucement. Les autres attendaient, guettaient, ne bougeaient plus que leurs antennes. Et Strauss donnait le tempo de cette intimité.

 

La blatte souleva une patte, puis la tendit. Le mouvement était fin et gracieux. Elle la reposa sur l’index qui s’offrait. Les autres pattes suivirent, et l’insecte s’installa, levant une tête vers ce visage inconnu.

 

Il sentit une larme couler.

Le cafard reprit sa ronde, pour lui seul, tournant encore, se posant, saluant, et reprenant indéfiniment cette évolution gracile.

 

C’était presque une communion entre l’Etoile et la blatte.

Et alors qu’il ne pouvait plus retenir ses pleurs, son pied droit se souleva lentement, et se mit à bouger.

 

La danse ne l’avait pas abandonné. 

 


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commentaires

P
<br /> Donc si je résume, on n'a ici le droit que de donner un avis positif, faire des louanges, bon bin d'accord... je ne prendrai donc pas part à ça<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Quelle étrange idée,un ballet de blattes.....ou quand la blatte devient un petit rat. Et il y a comme une poésie qui se dégage finalement de la blatte. Bravo car il fallait le faire.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Merci...<br /> <br /> <br /> <br />